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Au cours de mon expérience professionnelle (en construction depuis 32
ans), j'ai pris conscience de l’influence de la disposition spatiale,
de la place de chacun, sur les jeux de communication, par exemple lors
des discussions de groupe. Le fait de s’asseoir à une certaine place
autour de la table de réunion semble déterminer en partie le style des
interactions qu’a un individu, compte tenu de son statut social réel ou
supposé, avec son voisin de droite, son voisin de gauche, son vis-à-vis
...
La disposition spatiale des participants à une réunion a-t-elle une influence sur la façon de communiquer ?
Partant
du point de vue de la pragmatique inférentielle, qui suppose à toute
communication un enjeu, les rôles que les interlocuteurs peuvent être
amenés à jouer pour gagner cet enjeu peuvent-ils être influencés par
leur place ?
L’importance de l’espace sur les communications
interpersonnelles lors d’une réunion peut être analysée sous deux
angles, selon que l’on considère l’espace en tant que territoire
personnel – on rejoint alors l’idée de volume abordée précédemment –, ou
l’espace en tant que référent égocentrique – alors l’idée de lieu est
prééminente.
La place qu’occupe une personne peut être vue comme
un aspect du métalangage par lequel la personne donne à entendre son
intention communicative. Elle peut aussi déterminer un certain style de
communication, en rapport avec l’espace alloué à la personne, avec son
voisinage, avec sa distance par rapport au pouvoir.
L’espace comme territoire personnel
L’espace
vu comme une extension du territoire personnel apparaît comme fortement
associé au pouvoir ou à l’allégeance au pouvoir, aux stratégies de
domination ou de soumission. On peut prédire que l’individu qui
s’approprie l’espace de manière expansive, c'est-à-dire qui cherche à
étendre sa sphère personnelle au détriment de celle des autres, aura
comme enjeu d’imposer sa vision du monde. Il y aura une probabilité non
négligeable qu’il cherche à imposer son point de vue, qu’il fasse usage
de la figuration comme moyen d’agression afin d’assurer sa domination,
qu’il montre par divers aspects un comportement directif.
Dans le
même ordre d’idées, un comportement de soumission ou d’allégeance, de
recherche de protection, sera prédictible, tous facteurs considérés,
pour les sujets qui occuperont les places proches du pouvoir. Ils
acceptent volontairement de “faire don” de leur volume d’espace, et
attendent en échange que le pouvoir leur permette de “sauver la face”,
de faire “bonne figure”, selon les termes de Goffman ("Les rites
d'interaction", 1974).
Ainsi, l’utilisation qu’un individu fait de
l’espace, pris comme volume ou quantité, entre dans une stratégie plus
globale de communication de cet individu, par rapport à son enjeu.
L’espace comme référent égocentrique
Moles
et Rohmer ("Labyrinthes du vécu", 1982) expliquent que la notion
d’espace évoque aussi l’idée de lieu. Ainsi, chaque acteur a son propre
référent égocentrique : “la place d’où je parle”, ce qui peut se
comprendre comme « si j’étais à une autre place, je m’exprimerais
différemment ». A partir de la notion de centralité de Fischer ("La
psychologie de l'espace", 1981), on peut dire que chacun est le centre
de son espace comportemental, et cette perception organise une topologie
personnelle où les autres sont ressentis comme allié (allant dans le
même sens) ou comme obstacle (s’opposant). En réunion, la sphère
individuelle est un espace qui s’étend plus vers l’avant que sur les
côtés. Ceci explique que la sphère de celui qui est en face soit perçue
comme dangereuse, la probabilité d’un conflit étant alors plus forte,
alors que celle de son proche voisin est ressentie comme parallèle, donc
moins dangereuse.
C'est pourquoi on aura intérêt, lors des
réunions, à limiter les risques de conflit entre les personnes d’avis
contraires, en les invitant à s’asseoir côte à côte plutôt que face à
face.
La place comme information communicative d’une intention
On peut aussi considérer la place comme un facteur porteur d’une intention communicative.
Par
exemple, en se plaçant à la base du U, un directeur laisse aux autres
le soin d’inférer son intention de “tenir les rênes” de la discussion.
Le taux des échanges orientés vers lui lui apportera la preuve que cette
inférence a bien été faite. En occupant la place centrale (centralité
qu’il peut accentuer en poussant sa table vers le milieu de l’espace de
la réunion), il est de fait amené à parler plus souvent et plus
longtemps que les autres, puisqu’il s’est érigé en point de passage
obligé des interactions.
En instaurant ostensiblement une distance
entre eux et le centre de la réunion, certains participants témoignent
également d’une intention communicative. La signification en est
différente pour chacun : pour l'un, il s’agit de “prendre de la
distance” par rapport à la direction et aux décisions autoritaires du
patron; un autre laisse à entendre qu’il veut rester “en dehors” des
événements, qu’il n’est pas concerné par la discussion.
Un individu, quand il en a la liberté, choisit sa place en réunion en vue de transmettre une certaine intention communicative.
La place comme déterminant d’un style de communication
L’individu
qui participe à une réunion ou à une rencontre ne peut pas toujours
choisir sa place. Quelquefois, elle lui est imposée, pour diverses
raisons : hiérarchiques, liées à son statut, fonctionnelles, physiques
(déficience auditive ou visuelle, par exemple), etc., ou tout simplement
parce qu’il ne reste pas d’autres places libres.
Il reste que la
participation d'une personne aux jeux de communication est fonction de
sa place, tous les autres facteurs étant égaux par ailleurs. Ainsi, en
réunion, celui qui veut laisser la parole aux autres, et donner à voir
une attitude d’écoute afin de faciliter l’expression de chacun, aura à
cœur de s’écarter physiquement du centre de gravité de la rencontre, de
libérer l’espace physique pour faire comprendre qu’il libère l’espace de
parole.
Limites
Je n’ai pas la prétention de démontrer
l’influence primordiale de l’organisation et de la gestion de l’espace
sur les communications en réunion. Toutefois, j’espère avoir apporté un
éclairage sur ce facteur souvent négligé, et pourtant si facile à
exploiter.
Il ne faut cependant pas perdre de vue qu'il y a un
très grand nombre de facteurs qui interviennent, et qui, chacun, ont
leur poids :
- les facteurs psychologiques : caractéristiques
propres de l’individu, son âge, ses croyances, son sexe, sa disposition
d’esprit au moment de la réunion, ses affinités ou aversions envers les
autres membres... ;
- les facteurs sociaux : le statut social de chaque membre, l’histoire du groupe, la culture de l’entreprise... ;
- les facteurs spatio-temporels : le moment et le lieu de la réunion, sa durée... ;
- les
facteurs conjoncturels : l’objectif de la réunion, la période de
l’année, le contexte économique, politique, etc. dans lequel elle
s’inscrit...